Cette décharge à ciel ouvert pollue l'environnement des habitants du quartier Dokui Sopim
Abidjan, Dokui Sopim. Coincé entre les communes de Cocody et d’Abobo, ce quartier résidentiel jadis paisible fait aujourd’hui face à un fléau sanitaire silencieux mais redoutable : une décharge sauvage opérée par la société Ecoti.sa, implantée au niveau du carrefour dit « Dokui vidange ». Le lieu, censé être un centre de collecte temporaire, s’est transformé au fil du temps en véritable mini-Akouédo, en plein cœur d’une zone habitée et à deux pas du Groupe Scolaire Arc-en-ciel.
À peine arrivé sur les lieux le mercredi 2 avril 2025, l’air lourd et vicié nous prend à la gorge. En descendant du pont reliant le quartier versant 2 des Deux Plateaux aux habitations résidentielles de Dokui Sopim, nous plongeons dans un nuage toxique. Camions et tricycles déversent leurs cargaisons d’ordures sans discontinuer, brassant les déchets à ciel ouvert. L’atmosphère est irrespirable. Et au loin, se dresse le mur du groupe scolaire Arc-en-ciel, presque collé à la décharge.
Des cours sous gaz toxique
Au sein du Groupe scolaire, la résignation côtoie l’indignation. M. Kouassi, maître de CP1, raconte que cette odeur pestilentielle est devenue leur lot quotidien.
«Cela fait près de deux ans que nous sommes dans cette situation. Dans les débuts, ils étaient un peu vers le zoo, donc l'odeur n'était pas trop forte. Mais depuis cette année, ils ont ramené la décharge jusqu'au bord de la clôture de l'école. Une situation qui fait que même en plein cours, on n’ arrive même plus à respirer, on a obligé d'acheter certains produits pour pulvériser dans les salles de classe pour pouvoir tenir un peu. Souvent, lorsque leurs machines viennent pour faire des enlèvements ou pour des travaux, l’air est complètement pollué dans toute la cour de l'école. Personne ne peut respirer. Donc ça fait qu'il y a certain enfants qui ont des problèmes de respiration, la toux, etc. Hier (Mardi 1er avril 2025), on devait avoir des compositions, on a été obligé de reporter car certain enfants était absents, justement à cause des odeurs persistantes de la décharge. C'est vraiment difficile pour l'école, les enfants surtout avec les tous petits que nous avons », a-t-il relaté.
Des enfants, victimes de cette pollution silencieuse témoignent du malaise qu’ils ont en respirat ces mauvaises odeurs. Soumahoro Christ-Gaël et Tché Koffi Maël, 5 ans, en classe de CP1, racontent qu’ils ont commencé à tousser à cause des odeurs.
« Quand l’odeur vient, on ne peut plus se concentrer. On a mal à la tête, on a envie de vomir. Certains tombent malades», renchérit Kouassi Paul Yohan, en classe de 4e.
Riverains exaspérés et abandonnés
Dans les ruelles du quartier Dokui Sopim, la colère monte. Kaule Mélèdje, habitant depuis plus de 30 ans, est amer : « Au début, c’était une simple collecte. Maintenant, c’est une vraie décharge. On a un mini Akouédo ici, en plein quartier. Et personne ne bouge. Si un ministre habitait ici, croyez-moi, ils auraient déjà tout enlevé. Ce qu’ils font est criminel. Ils nous empoisonnent. Ceux qui ont les moyens ferment les fenêtres et mettent la clim. Les autres subissent».
Pour le président du Syndicat du quartier, Monsieur Yapi, cette situation est un calvaire permanent.
« J’ai déjà eu à signaler cette situation à l’entreprise concernée. Il ne se passe pas une semaine sans que nous nous plaignions. Au début, ils nous ont dit que c’était une installation provisoire. Mais la réalité, c’est que les ordures sont traitées ici dans des conditions insupportables. L’odeur est permanente. Elle nous envahit à toute heure : quand on mange, quand on dort, le jour comme la nuit. C’est devenu irrespirable. En plus des odeurs, ce sont les moustiques, et même des mouches qu’on ne connaît pas d’habitude, des espèces bizarres, agressives. On ne sait même plus quoi faire, nous sommes complètement dépassés. Ce dépotoir, on ne peut pas l’accepter au cœur de la ville, dans un quartier résidentiel. C’est un calvaire pour tout le monde, surtout pour nos enfants. La majorité des habitants ici sont des retraités, des personnes âgées. On nous expose à des risques graves pour notre santé. C’est inadmissible. On a dénoncé Akouédo pendant des années, et voilà qu’on vient créer un autre Akouédo ici, à Dokui. Pire encore, c’est à quelques mètres du zoo. Franchement, ce qu’ils font est grave. Trop grave. » s'est -il indigné.
DK
Encadré : le mutisme inquiétant de la société Ecoti.sa
En fin de journée, nous nous sommes rendus au niveau de la décharge de la structure ecoti.sa situé au niveau de Dokui vidange non loin du zoo. Nous trouvons les employés en pleine activité et tout semblait se dérouler sans crainte et en toute sécurité.
Après quelques minutes d'attente qui nous a permis d’observer les mouvements des camions et des tricycles pleins d'ordures qui se succédaient pour décharger leurs contenus, nous échangeons quelques mots avec les vigiles. Ceux-ci, nous dirigent vers un responsable du nom de Tanoh, responsable des engins. Il a fait savoir qu’il n’était pas habilité à nous répondre. Il nous demande de repasser le lendemain matin afin de discuter avec la personne ressource. Comme souhaité, le lendemain, jeudi 3 avril 2025 à 9h, nous nous somme rendu au rendez-vous de Monsieur Tanoh, après une demi-heure d'attentes il a fait savoir que tout le monde est débordé. Il nous donne un nouveau rendez-vous pour le vendredi 4 avril 2025. A notre arrivé ce jour-là, il nous répète la même phrase : « actuellement tout le monde est occupé est ce que vous pouvez passer prochainement ou demain si vous voulez ».
Nous en déduisons que les responsables d’Ecoti.sa refusent de nous éclairer sur la question. Face à cette réalité, le silence du responsable interrogé interpelle. Mais que cache ce mutisme ?
Dans un contexte où la Côte d'Ivoire affiche des engagements clairs en matière d’écologie et de santé publique, une question légitime se pose : comment justifier l’implantation d’une décharge à proximité immédiate d’un quartier résidentiel, sans mesurer l'impact apparente sur les populations, en particulier les enfants ?
DK