Paris sportifs en Côte d’Ivoire : entre espoir de richesse et piège social





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Avec les plateformes de Paris en ligne, les jeunes sont en quête d'argent rapide



Le soleil décline sur Port-Bouët – Gonzagueville, ce mercredi 1er octobre 2025. Dans un maquis animé, les regards sont rivés sur un écran géant. Villarreal croise le fer avec la Juventus, et chaque action déclenche cris et soupirs. Mais ici, il ne s’agit pas seulement de football. Chaque but, chaque corner, c’est de l’argent en jeu. À chaque occasion, les téléspectateurs jettent des coups d’œil à leurs téléphones. Preuve que l’enjeu n’est pas uniquement sportif, il est aussi financier.

Bienvenue dans le monde des paris sportifs, un phénomène devenu, en quelques années, un véritable fait de société en Côte d’Ivoire. La rencontre, qui se solde par un nul (2-2), ne fait pas l’affaire de tous. Certains ont la mine renfrognée : ils ont perdu. C’est de l’argent parti en fumée. D’autres, au contraire, sourient, jubilent. Leurs « tickets » sont rentrés. En langage plus clair, ils ont gagné leur pari.

Un marché en plein essor

Le marché des paris en ligne connaît un véritable boom. Les chiffres donnent le vertige. En 2025, le secteur des paris sportifs pèse environ 50 milliards de francs CFA, selon les estimations de la LONACI et des opérateurs du domaine. Un chiffre en hausse de plus de 15 % par an depuis 2022.

Les plateformes en ligne, comme Betclic CI ou 1xBet, ont vu leurs revenus exploser : de 20 milliards à près de 57 milliards de FCFA en deux ans, d’après les données d’Afriveille. L’explosion du digital, du mobile money et des smartphones a tout changé. Parier se fait désormais en quelques clics.

« Avant, il fallait se déplacer au kiosque LONACI du quartier. Aujourd’hui, tu peux miser depuis ton lit, ton bureau ou même en pleine route », raconte Issa, 24 ans, étudiant dans une grande école à Cocody. « C’est rapide, c’est excitant. Et surtout, on a l’impression de pouvoir gagner gros », soutient-il.

Pour beaucoup, le pari sportif est devenu une échappatoire face aux difficultés économiques. C’est devenu un véritable espoir de se faire de l’argent. Dans les cybers, les bars, sur les groupes WhatsApp, les discussions tournent autour des cotes, des pronostics, des “combos”.

Mais derrière les gains, ce sont des vies fragilisées. Car si certains gagnent, la grande majorité perd. Et parfois, lourdement.

Kader, chauffeur de VTC, raconte son expérience dans le milieu des paris en ligne :

« J’ai commencé avec 1 000 francs, juste pour m’amuser. Puis j’ai voulu me refaire. J’ai mis tout ce que j’avais mis de côté. Un jour, j’ai perdu 30 000 francs d’un coup. J’étais malade. Depuis, j’essaie d’arrêter, mais c’est dur. » Un cas typique d’addiction au jeu.

« Les psychologues parlent d’une addiction silencieuse », nous explique un sociologue rencontré à Cocody. Le sentiment de “presque gagné” maintient les parieurs dans une boucle sans fin.

Selon une étude menée à Abidjan en 2024, près d’un jeune sur trois a déjà parié au moins une fois, et un sur cinq déclare avoir perdu de l’argent qu’il ne pouvait pas se permettre de risquer.

Les conséquences ne sont pas seulement financières, développe notre sociologue. Des tensions familiales, des dettes, voire des comportements dépressifs apparaissent. Certaines familles rapportent même des vols domestiques liés aux paris.

Une manne économique pour l’État et les opérateurs

Malgré ces dérives, le secteur profite à certains. La Loterie nationale de Côte d’Ivoire (LONACI), pionnière dans le domaine, tire aujourd’hui une part importante de ses revenus du digital. En 2024, le directeur général de cette société affirmait que le digital représentait 14 % de son chiffre d’affaires. Une partie de ces recettes est reversée à des projets sociaux : construction d’écoles, soutien aux structures de santé, actions de solidarité.

Ballacosse Ouattara, responsable des jeux à la LONACI, précisait également :

« Nous avons une politique stricte d’interdiction pour les mineurs et nous encourageons le jeu responsable. Mais le défi, c’est l’application sur le terrain, surtout avec les plateformes étrangères. »

Quand le rêve tourne à l’obsession

Dans les quartiers populaires, les conséquences sociales sont bien visibles. Les cybercafés se transforment en points de jeu. Les jeunes s’y entassent pour miser sur les matchs anglais, espagnols ou italiens.

Certains s’improvisent “pronostiqueurs professionnels”, vendant leurs conseils sur Telegram ou TikTok.

Mais derrière ces visages enthousiastes, la précarité s’installe.

« Mon petit frère a arrêté l’école à 17 ans pour se consacrer aux paris. Il disait qu’il allait devenir riche. Aujourd’hui, il ne fait plus rien, il dort le jour et parie la nuit », raconte Aïssata, employée de bureau à Marcory. « C’est devenu une vraie dépendance. »

Le gouvernement ivoirien planche sur un renforcement du cadre légal : agréments obligatoires, surveillance des flux numériques, campagnes d’information dans les écoles.

Mais le mal est déjà profond. Le phénomène est désormais solidement ancré. Et tout cela traduit aussi les signes d’une pauvreté grandissante et d’une réelle fracture sociale.

Modeste KONÉ

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